la Justice seigneuriale à Saint-Vert au XVIIIème siècle

Frédéric CHALLET



Sous l'Ancien Régime, deux types de justice coexistent : la justice royale (une justice publique) et la justice seigneuriale (une justice privée). Un grand nombre de seigneurs possèdent en effet le droit de rendre la justice dans l'étendue de leur seigneurie. L'autorité des justices royales inférieures (prévôtés, bailliages et sénéchaussées) s'étend sur un grand nombre de paroisses. Elles sont très accaparées par la justice et la police de la ville où elles ont leur siège. Les justices seigneuriales sont beaucoup plus nombreuses : elles quadrillent très étroitement les campagnes de tout le royaume. La justice royale et la justice seigneuriale s'articulent mal : elles se superposent, s'enchevêtrent. Mais elles se complètent aussi. Les juges seigneuriaux s'occupent des affaires les plus simples, les juges royaux des affaires plus importantes, à savoir au criminel les délits qui troublent le plus l'ordre public et au civil les litiges que la 1ère instance n'a pas suffi à user. La juridiction d'appel des justices seigneuriales est le bailliage (royal) ou la sénéchaussée. Les appels sont peu nombreux. L'appel suspend l'exécution de la sentence prononcée par le juge seigneurial, sauf pour des affaires modestes (si la condamnation n'excède pas 25 livres) ou si le demandeur est fondé en titre passé sous scel royal c'est-à-dire si la demande repose sur un acte passé devant un notaire royal (tel qu'un contrat de mariage ou une obligation).
Les moines de La Chaise-Dieu possèdent, d'après Pierre-Roger Gaussin (La seigneurie justicière de La Chaise-Dieu et son évolution jusqu'à la veille de la Révolution, dans Almanach de Brioude, 1988, p. 21 à 56), la haute justice dans la moitié Est de la paroisse de Saint-Vert, mais seulement la basse justice dans la moitié Ouest, la haute justice étant, du moins au Moyen Age, entre les mains des seigneurs de Châteauneuf-du-Drac. On sait en outre que le seigneur du Viallard, dont le château se trouve dans la paroisse de Laval, possède au début du XVIIIème siècle un droit de justice dans une partie de la paroisse de Saint-Vert (Arch. dép. Haute-Loire, 1 H 283, n° 17-18). Cette justice semble active puisqu'une sentence de 1765 mentionne un procès-verbal d'affirmation d'une saisie-arrêt entre les mains d'un certain Mathieu Chaslet, tisserand du bourg de Saint-Vert, passé devant le bailli (le juge) du Viallard. Un jugement rendu en 1761 au sujet d'un pré situé à la Grange Michel autorise le demandeur à le vendre sur simple placard aux audiances [du] baillage [de la basse infirmerie de Saint-Vert] ou de la justice dans laquelle ledit pré est scitué : c'est bien la preuve que plusieurs justices seigneuriales coexistent dans la paroisse de Saint-Vert au XVIIIème siècle. Les profits que les seigneurs tirent de leur droit de justice sont peu élevés et ne font que couvrir les frais qu'il occasionne. Le seul véritable profit que le seigneur retire de son droit de justice c'est l'honneur de la fonction.
Sont conservés aux archives départementales de la Haute-Loire des registres et des minutes du greffe de la justice (appelée bailliage) de Laval et de la basse infirmerie de Saint-Vert. L'expression basse infirmerie renvoie au prieuré de Saint-Vert, dépendant de l'abbaye de La Chaise-Dieu et intimement lié pendant des siècles à l'office claustral d'infirmier de l'abbaye, l'infirmier étant prieur de Saint-Vert. Et même si les offices claustraux ont été supprimés au milieu du XVIIème siècle, les moines de l'abbaye de La Chaise-Dieu devenant alors collectivement prieur de Saint-Vert, le mot infirmerie est resté. Il s'agit donc d'une justice privée, seigneuriale, appartenant aux moines de l'abbaye de La Chaise-Dieu, seigneurs fonciers et seigneurs justiciers dans la paroisse de Saint-Vert. La justice de Laval et de la basse infirmerie de Saint-Vert s'étend sur deux paroisses : Saint-Vert et Laval. Mais couvre-t-elle toute la paroisse de Saint-Vert ou seulement certains villages et hameaux de la paroisse ? Dans les registres sont consignées les audiences du tribunal seigneurial pour les années 1742 à 1763 (cote 276 B 1), 1763 à 1767 (cote 276 B 2) et 1780 à 1788 (cote 276 B 3). Les minutes qui ont été conservées (cote 276 B 4) sont pour l'essentiel des actes de juridiction gracieuse (tutelles, curatelles, adjudications) s'étalant sur une période allant de 1742 à 1789.
Les deux plaideurs ou seulement un seul peuvent être du ressort. En théorie, les procès civils se plaident devant la justice de l'accusé. L'habitant d'un village n'entend relever que de la justice de celui-ci. S'il commet une faute dans les limites d'une autre justice, il doit être poursuivi dans sa propre justice. Dans les registres du greffe du bailliage de Laval et de la basse infirmerie de Saint-Vert, j'ai relevé toutes les procédures où au moins une des deux parties (le demandeur ou le défendeur) habite la paroisse de Saint-Vert, soit cinquante textes. J'ai en outre relevé toutes les minutes se rapportant à des habitants de la paroisse de Saint-Vert, soit cinq textes. Mon étude s'appuie sur l'ensemble de ces documents.

compétences des justices seigneuriales

Au sein de la justice seigneuriale, on distingue, en principe, la basse, la moyenne et la haute justice. La basse justice est compétente, en matière civile, pour toute cause jusqu'à 3 livres 15 sols d'amende. La moyenne et la haute justice sont compétentes pour toute cause civile. Le moyen justicier fait inventorier les biens des mineurs, il nomme des tuteurs et des curateurs. En matière criminelle, la basse justice est compétente pour des petits délits, la moyenne justice pour des délits plus grave pouvant entraîner une correction corporelle modérée, un bannissement temporaire ou une amende jusqu'à 3 livres 15 sols, et la haute justice pour tout crime (elle peut prononcer la peine de mort). Les affaires criminelles recouvrent les procédures pour injures graves, pour coups et blessures, pour vols, pour meurtres. On rencontre peu d'affaires criminelles dans les registres audienciers des justices seigneuriales au XVIIIème siècle : les affaires criminelles sont désormais traitées par la justice royale, le juge seigneurial restant compétent seulement pour les affaires criminelles les moins graves telles qu'injures et coups sans blessure. J'ai trouvé cependant dans les minutes du greffe du bailliage de Laval et de la basse infirmerie de Saint-Vert une procédure criminelle pour coups et blessures à Laval.
En réalité, la basse justice est pratiquement inexistante. La justice seigneuriale ne fonctionne comme un tribunal régulier que lorsque ses droits lui permettent d'aller assez haut dans les amendes et les peines, c'est-à-dire avec des droits de moyen ou de haut justicier. En outre, l'activité réelle d'une justice peut être inférieure à sa compétence, ou au contraire dépasser cette compétence, les juges seigneuriaux et les justiciables se permettant de faire plus qu'ils ne devraient. Au XVIIIème siècle, la hiérarchie traditionnelle entre basse, moyenne et haute justice n'a plus aucune signification et ne subsiste que dans la forme : les juridictions seigneuriales jugent toutes les mêmes causes désormais.
La justice seigneuriale s'exerce essentiellement en matière civile. Il convient de distinguer la juridiction civile contentieuse et la juridiction civile gracieuse.

la juridiction civile contentieuse

Les procédures contentieuses sont réunies dans les registres audienciers. L'exposé des jugements étant quelquefois suivi de la formule : pour les causes énoncées audit exploit (de demande), l'examen des sentences ne permet pas toujours de connaître le fond du contentieux.
Les affaires de dettes occupent une place très importante :
- L'obligation est une reconnaissance de dette, pour des prêts souvent importants (en général supérieurs à 50 livres), passée devant notaire et assortie d'une hypothèque sur les biens du débiteur, ce qui offre une garantie au créancier, qui peut obtenir la saisie des biens du débiteur et leur vente sur placards (la liste des biens à vendre est affichée). En 1747, le juge permet à Jacques Seaugues, laboureur des Mazeaux, de faire saisir et vendre sur [...] placcard [...] les fonds, bâtimens et héritages de Vital et Simonne Porte, gens de labeurs habitans du lieu des Combes, en qualité d'héritiers de Vital et Jean Porte et en vertu d'une obligation de 36 livres consentie par ce dernier devant notaire, en octobre 1714, au profit de Vital Seaugues, père du demandeur.
- Les petites dettes en argent, ou pour des avances ou vente de grains, de bois, de foin, de bestiaux sont nombreuses. Il peut s'agir de prêts de subsistance, faits au moment de la soudure. Si les mauvaises récoltes se suivent, l'endettement augmente. Un jour, le débiteur voit arriver un sergent qui lui remet une assignation à comparaître. Il peut aussi s'agir d'ardoises de cabaret. En 1783, François Coudeyrette et son gendre François Riomet, laboureurs de la Roche, sont condamnés à payer leurs dettes de cabaret, d'un montant total de 10 livres, à Jacques Batisse, cabaretier du bourg de Saint-Vert.
La justice de Saint-Vert connaît en outre de nombreuses affaires liées à des non-paiements (de salaires, de travaux, de bestiaux, de marchandises). En décembre 1782, Jean Laubie, laboureur du bourg de Saint-Vert, est condamné à payer le boeuf qu'il a acheté, 76 livres, six mois plus tôt, à Damien Chastrette, marchand habitant la paroisse de Champagnac-le-Vieux. En 1786, Julien Jany, laboureur du bourg de Laval et héritier de feu Antoine Jany, curé de Saint-Vert en 1784-85, est condamné à verser à Jeanne Dubois la somme de 30 livres pour ses gages et salaires pour [...] avoir servy ledit défunt [curé] Jany en qualité de servente. La même année, Vital Cladières, cabaretier du bourg de Saint-Vert, est condamné à rembourser à Robert Magaud, marchand de Pot, la somme de 186 livres qu'il lui a empruntée en plusieurs fois et dans laquelle est incluse celle de 66 livres correspondant à la vente de deux vaches. En 1788, Antoine Fayet, laboureur de Peymian, est condamné à payer les marchandises qu'il a achetées, quelques années plus tôt, à Jacqueline Bilhard, marchande du bourg de Champagnac-le-Vieux, pour un montant de 29 livres et 4 sols.
Les conflits familiaux liés à l'exécution des contrats de mariage et des successions se règlent parfois au tribunal. En 1785, après examen du contrat de mariage des défunts Marguerite Mestre et Jean Bard, le juge condamne la fille de ce dernier, Marguerite Bard de la Grange Michel, en qualité d'héritière de son père, à restituer la dot de ladite Marguerite Mestre, d'un montant de 300 livres, à son cousin Vital Mestre du Moristel.
Enfin, la justice de Saint-Vert connaît des affaires liées à des contrats non honorés. Antoine Lasaigne, marchand habitant la paroisse de Vialle-sur-Lamothe, et Balthazard Cartier, marchand du bourg de Saint-Vert, concluent vers 1750 un contrat de bail à cheptel : le premier achète au second un troupeau de quarante moutons d'une valeur de 200 livres, étant entendu qu'ils doivent partager par moitié le croît et les pertes, et que Balthazard Cartier doit restituer la valeur du troupeau en capital en fin de bail. Pour le propriétaire, le bail à cheptel est un placement rentable et sûr puisque le capital investi dans le troupeau est intégralement récupéré avec la plus-value. Pour le locataire, c'est un moyen d'élever du bétail sans avoir à en supporter l'achat. En mars 1752, Balthazard Cartier vend la moitié du troupeau, soit vingt moutons, à un certain Laroze de Brioude pour la somme de 120 livres. Sur cette vente, il empoche 90 livres et Antoine Lasaigne ne reçoit que 30 livres. Ce dernier entame alors une action en justice. Le 19 mai 1752, Balthazard Cartier est condamné à représenter [au] demandeur le nombre de vingt moutons restant [et] à raporter sur le prix dudit cheptel la somme de 90 livres par luy touchée sur le prix de la vente. S'il ne s'exécute pas, il devra verser la somme de 170 livres, plus des intérêts pour tenir lieu de croist, à Antoine Lasaigne.

la juridiction civile gracieuse

Les affaires gracieuses de la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert qui ont été conservées sont consignées sur des minutes. Les actes de tutelle sont les plus nombreux. Le régime de la tutelle a pour objet d'assurer la protection des enfants mineurs devenus orphelins. Dans la société d'Ancien Régime, l'orphelin est une réalité sociale courante. La procédure de tutelle est engagée au décès du père. Le tuteur gère et protège le patrimoine de l'enfant mineur. La désignation d'un tuteur est indispensable quand un créancier de la succession se présente : pour agir judiciairement contre un mineur, il faut en effet que celui-ci puisse être représenté par un tuteur. Le procureur d'office est responsable, en tant que garant de l'intérêt public, de la protection des mineurs. Il présente des réquisitions au juge tendant à la nomination du tuteur et à l'inventaire conservatoire de la succession. Le juge ordonne alors la convocation d'un conseil de famille, composé à égalité de parents maternels et paternels du ou des enfants, trois ou quatre de chaque côté. Le procureur d'office les fait assigner chez le juge ou dans la maison où résident les mineurs.
Le 2 septembre 1755, Antoine Vissac, procureur d'office, fait assigner devant le juge de la basse infirmerie de Saint-Vert, en l'auditoire du prieuré de Saint-Ver, Blaize Magaud des Mazeaux, Jean Magaud de Recolle, Benoît et Vital Sarre des Combes, Blaize Oléon des Macans et Jean Sarre de Saint-Martin d'Ollières. Trois d'entre eux sont des parents maternels et les trois autres des parents paternels de Blaize Magaud, enfant mineur et orphelin des défunts Jacques Magaud et Clauda Sarre. Les membres du conseil de famille prêtent serment d'accomplir avec conscience leur mission et se retirent dans une autre pièce pour délibérer en secret. Ils reviennent devant le juge pour lui annoncer le nom du tuteur qu'ils ont choisi :

Et s'estant retirée à part, après avoir assé longtemps conférée ensemble, il nous ont rapportés unanimement qu'ils sont d'avis que ledit Jean Magaud, laboureur habitant dudit lieu de Recolles, oncles paternels dudit Blaize Magaud mineur, soit tuteur dudit Blaize Magaud mineur comme le jugeant le plus capable et solvable.

Le juge homologue la nomination. Le tuteur prête alors serment d'accomplir sa fonction avec exactitude, ce dont le juge lui donne acte :

Avons dudit Jean Magaud [...], qui a volontairement acceptée ladite charge de tuteur, pris et reçu le serment au cas requis par lequel, la main levée à Dieu, il a promis de se [...] comporter en l'exercice de ladite charge de tuteur en homme d'honneur et de biens.

N'ayant plus ni père ni mère, il est convenu que Blaize Magaud soit nourri, hébergé et entretenu, moyennant le versement de 3 livres 10 sols chaque mois, par Benoît et Vital Sarre, ses grand-père et oncle maternels, laboureurs du village des Combes, jusqu'à ce que ledit mineur soit en état de gaigner sa vie.
La tutelle prend fin à la majorité (25 ans). Elle cesse avant la majorité en cas de mariage, mais, pour les actes juridiques importants, un curateur demeure indispensable jusqu'à l'âge de 25 ans. Ainsi, en 1788, Michel Cladières, fils mineur de défunt Antoine Cladières, meunier à la Roche, adresse une requête au juge de Saint-Vert dans laquelle il lui demande de lui nommer un curateur, ayant à intenter plusieurs actions en justice, ce qu'il ne peut faire, quoique émancipé par le mariage, sans au préalable être pourvu d'un curateur. Le juge nomme Michel Cavard, sergent de la justice de Saint-Vert, comme curateur.
En matière gracieuse, la justice seigneuriale s'occupe aussi des déclarations de grossesse hors mariage et des inventaires après décès.

En plus de ses compétences civiles et criminelles, la justice seigneuriale intervient aussi pour faire respecter les droits seigneuriaux : elle est très utile au seigneur car elle lui assure le paiement des cens, des lods et ventes et des autres redevances seigneuriales. Dans les registres de la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert, les affaires seigneuriales occupent une place très modeste. Les moines de La Chaise-Dieu, prieurs de Saint-Vert et seigneurs justiciers, n'apparaissent que dans trois affaires, jugées le 23 novembre 1780 ; ils réclament à trois laboureurs de Peymian des sommes d'argent, d'un montant respectif de 8 livres, 12 livres 10 sols et 60 livres, qui correspondent vraisemblablement à des droits seigneuriaux. On est loin d'une justice qui serait au seul service du seigneur et qui servirait uniquement à garantir la seigneurie.
La justice seigneuriale exerce en outre une activité de police (respect de l'ordre public). La compétence des juges seigneuriaux en matière de police est très importante : ils édictent des règlements valables dans toute l'étendue de leur ressort et veillent à leur application. Les sanctions prévues sont généralement des amendes.

où et quand est rendue la justice ?

L'exercice de la justice est public. L'auditoire doit donc être un lieu public, d'aspect décent, garni du mobilier nécessaire, avec un crucifix au mur. L'entretien de l'auditoire et du local qui sert au greffe est aux frais du seigneur justicier. La pratique la plus courante est que l'auditoire, le greffe et la prison sont réunis dans un même bâtiment, qui appartient souvent au seigneur. A Saint-Vert, au XVIIIème siècle, il semble que la justice soit rendue dans une salle du château. Les sentences rendues en matière contentieuse ne donnent jamais l'emplacement du tribunal. En revanche, une assignation à comparaître dans une affaire de tutelle datant de 1755 indique que le conseil de famille se tiendra en l'auditoire du prieuré de Saint-Ver. Une autre assignation à comparaître, dans le cadre d'une procédure criminelle concernant des habitants de la paroisse de Laval et datant de 1789, précise que les personnes convoquées devront se trouver devant le juge, un vendredi à huit heures du matin, en la chambre auditorialle [du] baillage de la basse infirmerie de Saint-Vert située dans le château fort dudit Saint-Vert pour prêter serment et [déposer] vérité en l'information qui y sera faite.
Les petites justices ont généralement une activité faible et irrégulière. Pour la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert, en observant les dates des cinquante procédures contentieuses étudiées, qui s'étalent entre 1742 et 1788, on remarque que le tribunal fonctionne tout au long de l'année (seul le mois de juillet est exempt de procédure), sans qu'on puisse dire qu'une période de l'année ou une saison soit plus chargée qu'une autre.

le personnel des justices seigneuriales

Le seigneur justicier ne juge pas en personne, il nomme, pour exercer son droit de justice, des officiers et des auxiliaires de justice. Les officiers des justices seigneuriales doivent avoir au moins 25 ans, être laïcs et de religion catholique, de bonne vie et moeurs, et suffisamment instruits pour exercer leur charge. En principe, les magistrats doivent porter la robe et le rabat. Le seigneur peut destituer ses officiers de justice. Dans la pratique, ils semblent inamovibles. La sortie de charge a lieu la plupart du temps par décès, ou démission, pour raisons de santé par exemple.
Il faut distinguer les officiers de justice (juge, procureur d'office et greffier) et les auxiliaires de justice (procureurs et sergent). Dans la hiérarchie sociale, les officiers des justices seigneuriales sont classés dans la 20ème catégorie (sur 22) de la première Capitation de 1695 : au 9ème rang pour les juges seigneuriaux (entre les archers de l'hôtel de ville de Paris et les avocats inscrits dans les justices royales), au 17ème rang pour les procureurs d'office et les greffiers seigneuriaux (entre les greffiers des rôles de taille et les huissiers et sergents des justices royales). Quoique de condition médiocre, les officiers seigneuriaux forment un groupe social intermédiaire entre les seigneurs et la masse des sujets. Quant aux sergents seigneuriaux, ils sont classés dans la 21ème et avant-dernière catégorie, au 4ème rang, juste au-dessus des artisans des bourgs et des villages.
La majorité des officiers des justices seigneuriales ne résident pas sur le lieu où ils exercent la justice mais dans de gros bourgs. L'absentéisme est généralisé. La non-résidence est en partie induite par le cumul des charges. Les officiers des justices seigneuriales ne sont pas rémunérés par le seigneur ou reçoivent de lui des gages assez faibles. Or les affaires qui viennent devant un tribunal seigneurial sont trop peu nombreuses pour faire vivre un magistrat sur une seule charge. Aussi, beaucoup d'officiers seigneuriaux cumulent plusieurs charges de juge ou de procureur d'office dans différentes justices seigneuriales.

le juge

Le juge (ou bailli) est la plus haute autorité judiciaire. C'est lui qui préside les audiences et qui rend les sentences. Il semble qu'un certain nombre de juges seigneuriaux n'aient pas de formation universitaire (ils ne sont pas gradués en droit) et aient été formés " sur le tas ", ce qui ne les empêche pas d'être compétents. En raison du cumul des charges, le juge est souvent absent : certains sièges restent des mois sans voir le juge venir présider une audience. Si le juge est absent c'est son lieutenant, s'il en a un, qui le remplace et occupe ses fonctions. En l'absence de lieutenant, c'est le procureur d'office qui supplée. Si lui aussi est absent, c'est un procureur expérimenté, que l'on dénomme alors " ancien curial ", qui remplace le juge. A Saint-Vert, seuls Gladel en 1747 et Veyrière en 1750 sont qualifiés de " bailli ". En l'absence de messieurs les officiers [du] bailliage - mention qui figure dans presque tous les jugements - le rôle de juge est rempli à Saint-Vert par un ancien curial : Vissac entre 1744 et 1786, Allezard en 1755, Dosfant entre 1761 et 1777, Gladel en 1766 et 1786, Veyrière en 1744 et 1780, Poughon entre 1781 et 1788, Clavellier en 1782 et 1783, Douvreleur de la Barbate en 1786.

le procureur d'office

Le procureur d'office (ou procureur fiscal) est à la fois le représentant des intérêts de la collectivité auprès du juge, et le représentant des intérêts du seigneur. Il assiste le juge dans la plupart de ses activités et peut, au besoin, le remplacer. En tant que représentant des intérêts de la collectivité, ou ministère public, il s'enquiert des atteintes à l'ordre public et déclenche l'action judiciaire, il veille à l'application des textes royaux (ordonnances et édits), des arrêts du Parlement, des coutumes, des règlements de police, enfin il prend en main les intérêts des mineurs, qu'il représente en justice, et s'occupe de tout ce qui touche à leur tutelle. En tant que représentant des intérêts du seigneur, le procureur d'office défend les droits du seigneur et s'occupe de la rentrée des cens et autres droits seigneuriaux.
Le procureur d'office apparaît dans les minutes du greffe de la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert à l'occasion des affaires de tutelle. En 1755, le procureur d'office du bailliage de la basse infirmerie se nomme Antoine Vissac, il habite le bourg de Champagnac-le-Vieux.

le greffier

Le greffier, troisième officier du tribunal seigneurial, est secrétaire et archiviste. Il tient la plume à l'audience, rédige les jugements et les envoie aux parties, dresse les procès-verbaux des interrogatoires et des comparutions au greffe, procède avec le juge aux inventaires et aux ventes volontaires ou forcées de biens, rédige les actes de tutelle. Il a la charge d'assurer la conservation des différents registres. Il assure dans son greffe la conservation des originaux (les minutes) et délivre copie des actes (les expéditions). Si le greffier est absent, le juge en commet un, qu'il choisit parmi les gradués de la juridiction : on parle alors de commis-greffier.

les procureurs

Les procureurs sont chargés d'assister les parties, de les représenter en justice, sans que leur ministère soit obligatoire : l'ordonnance royale d'avril 1667 permet aux parties de se passer d'un procureur quand les sommes en jeu ne sont pas considérables et les affaires simples. A Saint-Vert, le demandeur se fait toujours assister par un procureur. Seul Vital Vissac, notaire royal à Champagnac-le-Vieux, demandeur dans une affaire de dette, en 1782, ne prend pas de procureur et occup[e] en sa cauze. A Saint-Vert, le défendeur est toujours absent et ne se fait jamais représenter par un procureur (à une exception près : en 1787, Claudine et Robert Chambon, défendeurs, se font représenter par Me Pierre Faurot, leur procureur). Les procureurs sont nombreux, ils vivent des honoraires que leur versent leurs clients. Leur condition est assez médiocre. On leur reproche de faire durer les procès. Un procureur expérimenté, appelé ancien curial dans les actes, peut remplacer le juge s'il est absent.

le sergent

C'est l'homme de main de la justice. Le sergent intervient en de nombreuses occasions : assignations à comparaître, significations d'exploits ou de jugements, publicité de la justice (ordonnances de police, adjudications), contraintes et saisies, arrestations. La plupart des justices n'ont qu'un sergent, et beaucoup n'en possèdent aucun. Les emprunts entre justices sont donc fréquents. Les auxiliaires de justice sont moins souvent non-résidents. Ainsi, les sergents sont généralement originaires du lieu et résident. Ils assistent aux audiences. En contact direct avec la population, les sergents n'ont pas la tâche facile.
Michel Cavard est sergent de la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert au moins entre 1752 et 1788. Il habite le bourg de Champagnac-le-Vieux. Sa fonction l'oblige à se déplacer souvent. Ainsi, le 27 août 1755, à la requête d'Antoine Vissac, procureur d'office de la justice de la basse infirmerie de Saint-Vert, il se rend successivement aux domiciles de Blaize Magaud aux Mazeaux, de Jean Magaud à Recolle, de Blaize Oléon aux Macans, de Jean Sarre à Saint-Martin-d'Ollières et enfin de Benoît et Vital Sarre aux Combes afin de leur donner une assignation à comparaître le mardi 2 septembre, à dix heures du matin, en l'auditoire du prieuré de Saint-Ver devant le juge pour établir un tuteur à un enfant mineur. Le texte précise qu'il parl[e] à leurs personne, mais il laisse cependant à chacun une copie de l'assignation. L'oral et l'écrit sont complémentaires dans la tâche du sergent. Le dimanche 17 décembre 1769, accompagné de deux témoins, Michel Cavard se rend à Saint-Vert pour publier un placard annonçant la vente et adjudication d'un pré sur décision judiciaire :

Me suis transporté [...] au devant de la principalle porte de l'esglize parroissiale dudit lieu de Saint-Vert, à l'isseue de la messe de parroisse qui s'y est dite et célébrée ce jourd'huy, où étant et pendant que le peuple sortoit en affluance de ladite esglize, j'ai fait lecture et publication à haute et intelligible voix du placcard. [...] Et afin que personne n'en ignore, j'ai attaché et affiché à ladite principalle porte de l'esglize parroissialle de Saint-Vert coppie dudit placard et du présent procès-verbal, icelle ayant en-tête trois fleurs de lys, armes de Frances.

sociologie des justiciables

On peut classer les justiciables (demandeurs et défendeurs) qui passent devant le tribunal de la basse infirmerie de Saint-Vert en fonction de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle ils appartiennent.

demandeurs défendeurs
 abbaye de La Chaise-Dieu 3
 notaires royaux 3
 marchands 22 4
 cabaretiers 2 5
 sabotiers 2
 meuniers 2 3
 charpentier 1
 tisserand 1
 voiturier 1
 maître en chirurgie 1
 prêtre 1
 laboureurs 12 33
 journaliers 2 1
 gens de labeurs 1
TOTAL 50 50

Parmi les cinquante procédures contentieuses étudiées, les mêmes noms reviennent souvent. Une même personne peut donc apparaître à plusieurs reprises dans le tableau et parfois dans des catégories socioprofessionnelles différentes. En revanche, je n'ai trouvé qu'un seul demandeur qui soit devenu défendeur et aucun cas inverse.
Comme demandeurs, les marchands (22 cas sur 50) et les laboureurs (12 cas) sont les plus représentés. Ils augmentent leur revenu par des prêts qui leur valent d'apparaître dans les registres de justice quand ils poursuivent des débiteurs récalcitrants. Mais la justice seigneuriale est au service des justiciables de toutes catégories. Ainsi, Dimanche Bardy, journalier de Recolle, n'hésite pas à poursuivre en justice Louis Cladière, laboureur de la Roche, qui ne lui a pas versé son salaire de 12 livres 12 sols pour l'avoir servy en qualité de berger. On apprend à cette occasion qu'une chemise, une paire de bas de drap de ménage et un bonnet font partie des gages. Le juge condamne Louis Cladière à payer ce qu'il doit. Si des gens de modeste condition poursuivent des marchands ou des laboureurs c'est le signe que la justice est rendue de manière équitable et indépendante.
Les défendeurs sont surtout des laboureurs (33 cas), peut-être parce qu'ils sont les principaux bénéficiaires des prêts (on ne prête qu'à ceux qui sont en mesure de rembourser). Leurs créanciers savent en outre qu'ils sont solvables : à quoi bon en effet poursuivre en justice un journalier qui ne pourra pas rembourser ce qu'il doit et ne possède que peu de biens saisissables.

la procédure

La procédure suivie en matière civile est celle fixée par l'ordonnance royale d'avril 1667. Le plaignant, assisté d'un procureur, fait assigner en justice l'autre partie. Le juge procède alors à l'inscription de la cause. Les assignations à comparaître à l'audience sont délivrées en mains propres par un sergent. Lors de l'audience, après avoir entendu les plaidoiries des procureurs et examiné les pièces du procès, le juge rend sa sentence.
Mais le défendeur peut faire défaut, c'est-à-dire ne pas se présenter à l'audience ni se faire représenter par un procureur. Une affaire peut être renvoyée à cause du défaut de l'une des parties. Cependant, si l'affaire est simple, et c'est presque toujours le cas, le défendeur se retrouve condamné par défaut. A Saint-Vert, tous les jugements définitifs sont prononcés par défaut : le défendeur ne comparaît jamais à l'audience et ne prend pas la peine de se faire représenter par un procureur. Le défaut entraîne toujours à Saint-Vert une décision au profit du demandeur. Quand elle a été condamnée par défaut, la partie défaillante peut faire opposition. Comment expliquer l'importance des défauts ? Le défendeur qui a conscience d'être dans son tort n'a aucun intérêt à faire les frais d'un procureur : il sait que la condamnation est inéluctable. En outre, dans la mesure où le défendeur peut faire opposition à une sentence rendue par défaut et faire ainsi rejuger l'affaire, c'est une manière de gagner du temps et pourquoi pas de décourager l'adversaire. On peut déterminer la durée des procédures.


- de 6 mois de 6 à 12 mois de 12 à 24 mois + de 24 mois
nombre
d'affaires
31 5 5 5

A Saint-Vert, sur 46 affaires contentieuses dont on connaît la date de l'exploit de demande (qui marque le début de la procédure) et la date de la sentence (qui marque la fin de la procédure), 31 ont été jugées en moins de 6 mois. Sur ce nombre, 21 ont été jugées en moins de 2 mois et 13 en moins d'un mois. La justice de la basse infirmerie de Saint-Vert est donc une justice rapide. La plupart des affaires sont jugées en quelques mois. Seule une poignée de procédures s'étalent sur plusieurs années. En novembre 1765, Louis Cladières, meunier de la Roche, est condamné à payer ce qu'il doit à Vital Mestre, marchand du bourg de Saint-Vert. L'exploit de demande date de novembre 1758, soit sept ans plus tôt. La source du litige remonte au début des années 1750 :

Nous condemnons ledit Cladières à payer et porter au demandeur la somme de trente-six livres d'une part et pareille somme de trente-six livres d'autre part qu'il doit au demandeur pour vente et deslivrance d'une vache et de dix quartons blé soigle à lui faite par [...] deffunt Vital Mestre, père du demandeur, puis environ l'année 1750, comm'aussi la somme de neuf livres qu'il doit au demandeur pour la voiture de trois charrettées de planches au port de Lamotte depuis environ six ans avant la datte de l'exploit de demande.

les sentences et leur exécution

Sur 50 affaires contentieuses étudiées, 41 sont chiffrées avec précision. Le montant moyen des condamnations à Saint-Vert est d'environ 84 livres, ce qui est assez élevé. En réalité, cette moyenne cache de grandes disparités.


- de 20 L 20 à 39 L 40 à 59 L 60 à 79 L 80 à 99 L 100 L et +
nombre
d'affaires
15 8 2 6 2 8

Le montant des condamnations est très variable, de quelques livres (jamais moins de 8 livres) à plusieurs centaines de livres. Dans plus de la moitié des affaires (23 cas sur 41), les sommes en jeu sont inférieures à 40 livres.
En plus du montant de la condamnation, le défendeur doit verser au demandeur des intérêts. Ces intérêts courent depuis la demande, c'est-à-dire à compter de la date de l'exploit de demande, jusqu'au parfait paiement, c'est-à-dire jusqu'au paiement complet de la condamnation.
Une fois la sentence rendue, il faut en obtenir l'exécution, chose pas toujours aisée. Les sentences sont-elles toujours exécutées ? On peut en douter quand on voit que certaines sentences se bornent à réitérer de précédentes sentences non exécutées. Certains condamnés refusent pendant des années d'exécuter la décision du juge, ils sont à nouveau condamnés, ne s'exécutent toujours pas, leurs héritiers sont à leur tour condamnés. Pour faire exécuter une sentence, on peut mettre en oeuvre les procédures de saisie : saisie-arrêt entre les mains d'un tiers détenteur, saisie-exécution sur les biens du condamné. C'est une procédure assez courante à Saint-Vert. Les biens saisis chez le condamné sont confiés à un tiers, qui doit ensuite les apporter à une vente publique un jour de marché. Le 30 août 1784, le juge fait saisir trois pignons de deux cents gerbes de seigle chacun chez Jean Laubie, laboureur du bourg de Saint-Vert, débiteur de François Drogues, marchand de Champagnac-le-Vieux. Les gerbes qui composent les trois pignons sont confiées à Vital Fournier, charpentier du bourg de Saint-Vert, qui en est étably gardien. Un jugement, rendu par défaut, le 6 décembre de la même année, le condamne à rapporter les six cents gerbes de seigle afin qu'elles soient vendues au plus prochain marché des lieux [...] et le prix en être délivré audit demendeur en payement ou diminution de ce qui luy est dû.
On peut aussi user de la contrainte par corps vis-à-vis d'un débiteur récalcitrant, autrement dit le faire emprisonner.

les frais de procédure

Le montant des dépens (frais de justice) est toujours porté à la fin des jugements définitifs. Il n'est pas proportionnel aux sommes en jeu, mais varie en fonction de la nature et de la durée de la procédure, du nombre de pièces de procédure. Il comprend tous les frais engagés au cours de la procédure (expéditions, assignations, significations), les droits de vacations des officiers seigneuriaux et les droits royaux (contrôle et insinuation). L'ensemble des frais de procédure sont calculés selon des barèmes officiels émanant du parlement de Paris ou du présidial.
A Saint-Vert, les dépens adjugés (sommairement liquidés disent les sentences) varient de 2 livres 4 sols 6 deniers (un jugement rendu en 1744) à 16 livres 9 sols (un jugement rendu en 1781). Mais ce sont des valeurs extrêmes. Sur 49 jugements définitifs, 38 ont des dépens compris entre 3 et 5 livres, le montant moyen étant de 4 livres 13 sols. On le voit, les frais de justice ne sont pas très élevés. Ils sont toujours à la charge du défendeur.

conclusion

Si les justices seigneuriales demeurent actives jusqu'à la Révolution c'est qu'elles répondent à un besoin réel de la population. Le tribunal seigneurial, les juges, les procureurs font partie de l'univers familier des populations rurales. Même pour des affaires sans grande portée pécuniaire, on n'hésite guère à aller en justice, signe que la population est satisfaite de la manière dont la justice est rendue.
Les justices seigneuriales sont très utiles, elles contribuent à assurer le respect des engagements pris et à préserver la paix entre les habitants, à apaiser les querelles et à éviter que ces dernières ne dégénèrent. Elles permettent de prévenir assez tôt l'envenimement des choses. C'est une justice de proximité (proche des justiciables), rapide (les condamnations sont rapidement prononcées) et peu coûteuse.
Les justices seigneuriales sont supprimées en 1789. L'année suivante, il est créé dans chaque canton un juge de paix pour s'occuper des petits litiges et des petits délits.







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