meuniers et moulins à Saint-Vert

Frédéric Challet


Connus dès l'Antiquité, les moulins à eau se multiplient en France à partir du IXème siècle et surtout au XIème siècle. Plusieurs textes du XVème siècle mentionnent la présence de moulins à Saint-Vert. Ainsi, une sentence rendue par la sénéchaussée d'Auvergne, le 17 mars 1416, ordonne la mainlevée de la saisie opérée sur le moulin et la levade de Saint-Vert à la requête de Laurent Jouve, dit Dara, sergent du duc d'Auvergne, contre Jean Chauchat, infirmier de l'abbaye de La Chaise-Dieu et prieur de Saint-Vert. La situation du moulin est indiquée avec précision, il voisine le pré du curé de Saint-Vert à l'est, l'ort (jardin potager ou jardin à chanvre) du moulin de la Roche à l'ouest, le pré d'un certain Jean Duchamp au sud et le ruisseau de Doulon au nord (A.D. Hte-Loire, 1 H 282, n° 10).

Bien des seigneurs parviennent, aux Xème et XIème siècles, à imposer dans un ressort donné le recours à leur propre moulin : c'est le moulin banal. Les seigneurs pourvus de moulins, banals ou non, prétendent souvent avoir droit de concession de prise d'eau, donc pratiquement droit de concession de construction et d'exploitation de moulins. Le 8 juillet 1426, une sentence est rendue par la sénéchaussée d'Auvergne, à la requête de Pierre Bordel, infirmier de l'abbaye de La Chaise-Dieu et prieur de Saint-Vert, contre Bertrand de Péalabeuf, écuyer, et Etienne Morel, dit Champmort qui prétendent capter l'eau du Doulon, la faire passer par un " commun " de Saint-Vert pour la conduire à un de leurs moulins, en dépit des droits du prieur de Saint-Vert. Le sénéchal d'Auvergne commet des personnes pour se transporter sur les lieux afin de détruire les travaux entrepris par lesdits Péalabeuf et Morel et remettre les choses en l'état initial (A.D. Hte-Loire, 1 H 282, n° 12).

La construction d'un moulin à eau coûte cher et exige d'importants travaux de terrassement. Il faut en effet creuser un béal ou bief, c'est-à-dire un canal de dérivation de l'eau d'un ruisseau pour alimenter le moulin. Ce canal doit être pris d'assez loin afin de ménager un pente qui augmente la rapidité et la force de l'eau. La meule de moulin est normalement faite d'un bloc de grès ou de granit. Le poids interdit cependant de faire venir de loin les meules, et on se contente de toute roche tant soit peu abrasive. En Auvergne, on utilise des meules à grain fin et tendre pour moudre le seigle, des meules à grain grossier et dur pour moudre le froment.
Vidal Mestre de Saint-Vert fait construire, au début du XVIIIème siècle, deux moulins à moudre le grain sur le Vignon. Il envisage en outre de faire construire un moulin à mailler le chanvre. Un rapport détaillé, indiquant la nature des travaux effectués ou à effectuer et le type de matériaux employés, est dressé le 19 juillet 1703 par un officier de justice (A.D. Hte-Loire, 1 H 374) :

Aujourd'huy dix-neufviesme juillet mil sept cens trois, devant nous Sébastien Belletier, advocat en parlement, lieutenant au balliage de La Chaize-Dieu (et) membres en dépandans, assisté de messire Jean-Joseph Choutard, nostre greffier, a comparu messire Vidal Mestre, hoste habitant du lieu de Saint-Ver, lequel nous a remontré estre en pocession de certains héritages (dans lequel il y avoit autresfois un molin) au tènement du Morestel puis entour trente-deux ans, dans lequel héritage il a fait construire deux moulins à moudre grains, dont l'un est couvert à paillie et l'autre à thuille, au long de la rivière appellé de Vinon.
Et d'autant que par ce moyen il a rendu lesdits héritages plus précieux et d'un prix exédant de beaucoup, par ses amméliorations, le capital des (contras) de son acquisition, et que possible un jour il pourroit estre inquietté et esvincé de sa juste pocession, il nous a requis vouloir nous transporter sur les lieus pour visiter lesdits molins et prendre la déclaration des maistres massons et charpentiers qui ont travallié à la constrution desdits molins et qui ont fait les réparations nécessaires.
A quoy adhérant, nous sommes transportés dans le tènement dudit Morestel dans lesdits molins où ayant la présance de messire Jean Martinet, maistre masson de Lamarche, paroisse de Saint-Messam, et de Rober et Anthoine Pic, père et fils, maistres charpentiers habitans du lieu de Saint-Ver, apprés avoir d'iceux pris et receu le serement de chacun d'eux au cas requis, par lequel ils ont promis de faire leur rapport, chacuns en ce qui les concerne, en loyauté et conciance, sur le pris, dépances et fournitures desdits molins, fais ou à faire et emsemble des réparations nécessaires et innévitables pour l'entretien d'iceux.
A quoy procédant, ils nous ont raporté et affirmé, scavoir ledit Jean Martinet avoir, à la réquisition et sous le payement de Vidal Mestre, levé et batty deux moulins dans le susdit tènement où il y a entour soixante-dix toises de muraillie, lesquels il a jugé et déclairé n'avoir pas esté faites à moins de la somme de deux-cens livres, en icelles compris la condhuite de la terre et pierre et autres mathériaux nécessaires à la construction desdits mollins. Déclaire aussi avoir fait la levée des canals desdits molins et les fraix d'icelle ou journées employées se monte la somme de douze livres. Dit d'alhieurs ledit Martinet estre d'un besoin indispanssable pour condhuire l'eau au lon du canal de faire une muraillie en forme de glacis pour soutenir le béal desdits moulins, de la longeur de cinquante toizes et d'une toize d'auteur. Et pour icelle faire il faudra pour les journées ou nourriture des ouvriers ou pour la condhuite des pierres et mathériaux nécessaires la somme de deux-cens livres. Dit aussi que pour faire la muraillie d'un molin à malhier chanvre que ledit exposant a entrepris de faire faire, il faudra la somme de douze livres.
Et lesdits Rober et Anthoine Pic ont juré et affirmé avoir fait toutes les réparations desdits moulins concernant leur mestier et avoir fait premièrement ledit couvers desdits moulins et employé en iceux six douzaines d'aix de sapin estimées à quarante sols la douzaine, se montant douze livres, six cens cloux à dix sols le cent, trois livres, plus pour les poutres traverssins ou (testes) desdits couvers ou condhuite d'icelles, trente-six livres, plus pour douze cens thuilles, condhuite comprise, estimés à quarante sols le cent, vingt-quatre livres, pour cinq cens bottes de paillie à trois livres le cent, quinze livres, pour les journées ou nourritures des ouvriers qui ont fait ledit palix, huit livres, plus pour les deux rodes ou tremoulard, ... et autres garnitures nécessaires pour metre en estat lesdits moulins, cinquante livres, plus pour les ferremans nécessaires ausdits moulins, douze livres, pour (l'achat) de quatre meules de molin ou pour la condhuite d'icelles, cent quarante-quatre livres, pour les liondars, les ais des deux portes desdits molins ou ferrement d'icelles, douze livres,
[...] plus pour le bois qui a esté employé à faire la levée et les escluses desdits molins, dix livres, et pour cent trente-trois journées que lesdits Pic ont employé à faire toutes les susdites réparations et mettre lesdits moulins en estat de travalier, cent trente-trois livres, à raison de vingt sols par jour, nourriture comprise, plus pour les journées qu'il a employé à creuser ledit béal ou faire lesdites escluses, trente livres. Déclarent de plus que pour faire le moulin à mallier chanvre que ledit exposant prétend faire il faudra pour les journées des ouvriers qu'il y conviendra metre pour faire la charpente nécessaire ou pour les meubles, ustancilles dont il sera besoin pour metre ledit moulin en estat de travallier, la somme de sept-vingts livres.
Toutes lesquelles réparations faites ou à faire, tant par ledit Martinet que Rober et Anthoine Pic, sont de la valleur de mille soixante-une livre.
[...]

Le coût total de la construction des deux moulins, avec leur béal, s'élève à 911 livres et comprend la maçonnerie (412 livres), le terrassement, la charpente, la couverture, le prix et l'acheminement des matériaux, ainsi que les journées de travail. L'un des moulins a une couverture en tuiles (1200 tuiles), l'autre en chaume (500 bottes de paille). Le béal, creusé avec soin, doté d'écluses, doit être soutenu par un mur. Les quatre meules coûtent, transport compris, 144 livres.

Du grain, le moulin fait de la farine, des noix ou du chènevis il extrait l'huile, et ce sont les fondements du régime alimentaire commun. Le moulin à mailler le chanvre broie les tiges de chanvre destinées à fournir des toiles dont on fait du linge et des draps.
La banalité, lorsqu'elle existe, joue aussi bien pour les grains que pour les noix et le chanvre, et elle amène au meunier une clientèle d'assujettis qui viennent livrer leur grain et reprendre leur farine sans que le meunier ait à " chasser ". Au contraire, le meunier d'un moulin " libre " soumis à la concurrence, doit courir la campagne, avec son cheval ou son âne, pour faire la quête des grains et rapporter la farine et le son.
Le meunier est soit propriétaire de son moulin, soit locataire (précaire ou perpétuel). Le meunier-locataire peut, en plus du loyer, être tenu d'aller chercher au domicile du propriétaire une certaine quantité de grains et de lui en rapporter la farine. Une décision de justice condamne le 25 février 1516 Guillaume de La Sanhe, meunier du moulin de la Roche de Saint-Vert, à venir chercher au château de Saint-Vert le blé que Pierre Jouvenroux et ses successeurs infirmiers de l'abbaye de La Chaise-Dieu et prieurs de Saint-Vert consommeront pour leur usage et celui de leurs domestiques, à le moudre gratuitement sans modure (sans se payer en nature sur le blé qu'on lui donne à moudre) et à apporter la farine au château de Saint-Vert (A.D. Hte-Loire, 1 H 283, n° 1).

La rétribution normale du meunier consiste en un prélèvement d'une partie des grains à moudre ou d'une partie de la farine. Ce prélèvement, qui constitue l' " émolument " du meunier, varie de 1/32ème à plus de 1/16ème des quantités traitées. Les moulins chôment lorsque le gel et la sécheresse tarissent la force qui les meut. Malgré cette paralysie intermittente, le moulin est souvent un établissement lucratif. Le meunier a des facilités particulières pour élever des porcs, grâce au son qu'il prélève licitement ou non. Le meunier est aussi un spécialiste de l'élevage des oiseaux aquatiques (oies et canards). Il jouit vraisemblablement de tolérances pour pêcher dans le béal de son moulin. Le meunier se trouve dans une situation d'autant plus favorable qu'il apparaît comme un intermédiaire placé en travers du circuit du grain, ce qui lui permet d'opérer des prélèvements en nature.

Le rôle de taille de 1734 indique que la paroisse de Saint-Vert compte à cette date six foyers fiscaux propriétaires ou locataires de moulins (A.D. Puy-de-Dôme, B IS 1051). Sur ces six foyers fiscaux, quatre ont une cote de taille supérieure à 80 livres, ce qui les place parmi les cinq foyers fiscaux les plus imposés, donc les plus aisés de la paroisse. Martin Mazal et son gendre, Jacques Saugues, ont un moulin à blé à une roue qui leur rapporte deux septiers de blé par an, soit environ 350 litres de grains ; ils possèdent dix hectares de terres labourables et ont deux taureaux, cinq vaches et vingt brebis, ils sont en outre propriétaires d'un domaine dans la paroisse de Cistrières d'un revenu annuel de 200 livres. Vital Mestre est cabaretier et propriétaire d'un moulin à blé à une roue ; il possède en outre un peu plus de dix hectares de terres labourables et a deux boeufs, deux vaches et vingt-cinq brebis. Jean et Philippe Raby sont également cabaretiers et ont un moulin à blé ; ils possèdent un peu plus de six hectares de terres labourables et ont trois vaches et quinze brebis, ils sont en outre propriétaires d'un domaine dans la paroisse de Fayet d'un revenu annuel de 150 livres. Antoine Besset, Antoine Coudeyrette et Louis Cladière, qui composent un foyer fiscal, ont trois moulins dont un moulin à blé et un à mailler le chanvre ; ils possèdent un peu plus de quatre hectares de terres labourables et ont deux boeufs, quatre vaches et vingt-cinq brebis. Robert Héritier possède un moulin à blé et à avoine. Enfin, Jacques Portanier à Pont-Jules a un moulin à blé ; il possède un peu plus de deux hectares de terres labourables et a deux boeufs et une vache. Les meuniers de la paroisse de Saint-Vert sont à l'aise pour la plupart, ils bénéficient d'une relative prospérité par rapport au reste de la population.

Si les cartes de Cassini donnent une idée du nombre des moulins, qu'elles représentent par le signe conventionnel d'une petite roue dentée, l'enquête sur les moulins de 1793 conservée aux Archives nationales (Arch. nationales, F 20, 292) précise bien la situation, en montrant le pullulement de ces établissements dans les montagnes, où ils semblent se succéder en chaînes le long des ruisseaux barrés de petites levées de terre qui créent des retenues d'eau artificielles. Partout où l'eau peut entraîner des meules on trouve des moulins. A Saint-Vert, les moulins sont de petite taille avec une faible capacité de mouture. Ils ne peuvent sans doute pas fonctionner tout au long de l'année : le Doulon et surtout le Vignon ont un débit trop faible en été, et ils peuvent geler en hiver.

En 1830, la commune de Saint-Vert compte douze moulins à eau (A.D. Hte-Loire, E dépôt 288-1). Les plans du cadastre napoléonien de 1829 permettent de les localiser avec précision (A.D. Hte-Loire, 3 P 2691). Les douze moulins se répartissent sur seulement sept sites. Un bief peut en effet alimenter plusieurs moulins. Au chef-lieu de Saint-Vert, sur le Doulon, il y a deux moulins l’un à côté de l’autre. A la Roche, il y a trois moulins côte à côte appartenant à trois propriétaires différents. Le lieu-dit du Moulin des Mazeaux, au bord du Doulon, a deux moulins. A Pont-Jule, il y a aussi deux petits moulins côte à côte. Le moulin de Sagnoux, sur le Doulon, en amont de Saint-Vert, est alimenté par le bief qui alimente les moulins de Saint-Vert. Dix des douze moulins sont sur le Doulon. Les deux autres moulins sont sur son principal affluent, le Vignon : l’un sous le hameau de la Faye, l’autre au chef-lieu de Saint-Vert.





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