signature d'un bail à cens à Saint-Vert en 1789

Frédéric Challet


Sous l'Ancien Régime, les paysans ne sont jamais complètement propriétaires des terres qu'ils exploitent. Le propriétaire éminent de la terre c'est le seigneur. Le paysan n'est qu'un tenancier qui paie chaque année au seigneur le cens pour la location perpétuelle de la terre. On parle de bail à cens. Le bail à cens est un bail qui ne s'éteint jamais.

Le cens s'accompagne d'un autre droit seigneurial, le droit de lods et ventes. C'est le plus important et le plus lourd de tous les droits seigneuriaux. Le droit de lods et ventes est dû au seigneur en cas de mutation d'un bien tenu à cens envers lui ; le paysan peut en effet léguer sa terre (sa tenure), l'échanger ou la vendre à condition que l'acquéreur verse au seigneur des droits de mutation. Le droit de lods et ventes n'est, cependant, généralement pas exigible dans la succession en ligne directe. Le taux du droit de lods et ventes est fort variable ; à Saint-Vert c'est le huitième (2 sols 6 deniers pour 1 livre) du prix de vente.

Le 2 juillet 1789, un habitant de Saint-Vert, Jean Curabet, signe un bail à cens avec les moines de La Chaise-Dieu pour une parcelle de terre située à la Roche. Le cens se paie souvent en argent, ici c'est en nature (en seigle). En principe, le cens est portable s'il se paie en argent et, s'il se paie en nature, quérable sur le champs du censitaire, sauf conventions contraires (comme dans le cas présent) :

Pardevant le notaire royal soussigné [...] en la sénéchaussée d'Auvergne, résidant au bourg de Champagnat-le-Vieux et les témoins cy après nommés a été présent dom François Bastier, religieux bénédictin de l'abbaye royalle de la ville de la Chaizedieu, lequel de l'avis et consentement de messires les autres religieux bénédictins de la Chaizedieu, seigneurs prieurs du bourg de Saint-Vert, assemblé capitulairement à l'effet des présentes a reconnu avoir ceddé, délaissé et transporté par ces présentes à titres de cens, profits de lods et ventes, saisines, défauts et amandes lorsque le cas arrivera dès maintenant et pour toujours et avec promesse de garantir et faire valoir à Jean Curabet, marchand habitant du bourg de Saint-Vert, ici présent et acceptant, une parcelle de terrain de la contenu d'entour deux coupées formant un triangle, située aux appartenances du lieu de la Roche, joignant les buges des hoirs Balthazard Cartier de jour, le pré de la cure de midy, déclinant à nuit, le pré desdits sieurs religieux de nuit, déclinant à bize, et le champ de Michel Cladière de bize déclinant à jour.
Le présent bail fait et consenti moyennant le cens d'une coupe seigle mesure droite dudit prieuré de Saint-Vert, lequel cens sera annuel et perpétuel
[...] avec [...] droit de directe et seigneurie que cens emporte [...] en toute justice, moyenne, basse et haute, droits de lods et vente à raison de deux sols six deniers pour livre toutes fois et quand le cas arrivera. Et ne pourra ledit Curabet, ses hoirs et ayant cause imposer sur ledit héritage aucun cens sur cens, ni le reconnoître à autre seigneur à peine de tous dépens, dommages et interêts. Lequel cens annuel d'une coupe seigle ledit Jean Curabet a promis et sera tenu payer et porter annuellement et à perpétuité auxdits sieurs religieux ou à leurs receveurs, commis et députés dans leur grenier (du) château fort de Saint-Vert comme leurs autres cocensitaires le vingt huit du mois d'aoust de chaqu'année et tant et si longuement qu'il sera détempteur et possesseur dudit héritages ou de partie dicelui, comme aussi ledit Curabet sera tenu de passer et consentir semblable reconnoissance pardevant notaire en faveur desdits sieurs religieux lorsqu'il en sera requis. Et au payement dudit cens ledit Curabet a spéciallement obligé ledit héritage et les fruits qui en proviendront annuellement par préférance à tous autres [...].
Car ainsy les parties l'ont voulu et à l'exécution
[...] ont obligé, savoir ledit Curabet tous ses biens présents et à venir, et ledit dom Bastier, à faire jouir ledit Curabet paisiblement, les revenus de sa communauté.
Fait et passé au bourg de Champagnat-le-Vieux (étude du) notaire et en présence de Vincent ..., sergent habitant dudit bourg soussigné avec les parties et de François D. sabotier, habitant aussi de cedit bourg, lequel a déclaré ne savoir signer de ce enquis, le deux du mois de juillet mil sept cent quatre vingt neuf après midy.
[...] Arch. dép. Haute-Loire, 1 H 283, n° 20

La nuit du 4 août 1789, l'assemblée constituante vote l'abolition des privilèges. C'est la loi du 15 mars 1790 qui règle les modalités d'abolition du régime féodal. Si un certain nombre de droits seigneuriaux sont supprimés gratuitement (mainmorte, banalités, droit de chasse, droit de justice), les redevances pour la location perpétuelle de la terre (cens, champart, lods et ventes) doivent être rachetés par les paysans. Pour éviter la reconstitution du régime féodal, l'assemblée constituante interdit pour l'avenir tout bail pour une durée supérieure à la vie ou à 99 ans. Il ne faut pas croire que cette mesure est unanimement bien accueillie ; en effet, le bail perpétuel permet au paysan de louer la terre pour des sommes dérisoires.

Le rachat doit être individuel, et non effectué par toute la communauté. Chaque individu doit racheter en même temps tous les droits affectant la même parcelle, les droits annuels (cens, champart, ...) et les droits exceptionnels (lods et ventes, ...). Le droit de lods et ventes, lors des mutations, n'est souvent exigible qu'en cas de vente ou de succession en ligne indirecte. Aussi, dans beaucoup de familles paysannes où la terre passe normalement aux enfants, le droit de lods et ventes n'a jamais été payé. Les paysans sont donc très mécontents d'avoir à racheter un droit qu'ils ne paient jamais. Le taux du rachat des droits seigneuriaux est fixé à 20 fois le droit annuel lorsqu'il s'agit d'une redevance en argent, à 25 fois lorsqu'il s'agit de droits payables en nature. Le rachat des droits exceptionnels se monte à la valeur d'une seule échéance. Au total, cela forme des sommes fort importantes au moment où les paysans veulent réserver leurs fonds à l'acquisition de biens nationaux. Aucune procédure n'est fixée pour contraindre au rachat un seigneur récalcitrant. Ainsi l'abolition du régime féodal est une véritable illusion ; pis, une duperie. En fait le rachat est impossible. Beaucoup de seigneurs refusent les rachats proposés par les paysans. Ces derniers sont au plus haut point déçus. Les paysans réclament l'abolition totale, immédiate et gratuite des droits seigneuriaux.

En août 1792, après la chute du trône, l'assemblée législative abolit gratuitement les droits seigneuriaux, à moins que le seigneur ne puisse produire le titre primitif. Par suite de la grande difficulté éprouvée par les seigneurs pour produire les titres primitifs, il ne substiste plus qu'un petit nombre de droits rachetables. En septembre 1792, la terre est pratiquement libérée. C'est la Convention qui détruit les derniers vestiges de la féodalité : par décret du 17 juillet 1793, elle abolit totalement et gratuitement toutes les redevances seigneuriales qui subsistent.





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