milice royale et émigration temporaire
Frédéric Challet
La milice royale est créée par Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV, en 1688, au début de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, afin d'augmenter les effectifs de l'armée. La milice s'ajoute aux troupes réglées dont le recrutement est fondé sur le volontariat. La milice royale est levée de 1688 à 1697, de 1702 à 1714 et à partir de 1726. Le roi fixe le nombre de miliciens dont il a besoin. Ce nombre est ensuite réparti entre les généralités, les subdélégations et les paroisses.
Le royaume compte 70 000 miliciens en 1694, 60 000 en 1726, 75 000 en 1765. Les régiments de milice sont composés de 15 ou 20 compagnies formées elles-mêmes de 50 miliciens originaires de paroisses voisines. Equipés et, dans un premier temps, soldés par leur paroisse, les miliciens, une fois rassemblés hors de leur province et incorporés dans l'armée, voient leurs appointements et leur entretien pris en charge par le roi.
Le service dure de 4 à 6 ans. En temps de paix, les miliciens sont astreints chaque année à des exercices, d'une semaine ou deux, destinés à leur donner une formation militaire. En temps de guerre, ils constituent des troupes auxiliaires chargées d'escorter des convois ou de garder des places, ils peuvent aussi être incorporés dans les troupes réglées.
Pour être miliciable, il faut être roturier, célibataire (faute de célibataires, on peut cependant désigner des hommes mariés), âgé au plus de 40 ans (l'âge minimal des miliciables est d'abord de 20 ans avant d'être abaissé à 18 ans en 1693, puis à 16 ans, avant de revenir à 18 ans en 1765) et mesurer au moins 5 pieds (1,62 mètre).
Le tirage au sort est institué en 1692. Cette opération est présidée par le subdélégué. On écrit la mention milicien sur autant de billets que la paroisse doit fournir de miliciens. On mêle ces billets dits noirs avec des billets laissés en blanc. On met le tout dans un chapeau tenu à la hauteur de la tête de celui qui tire. La pratique du remplacement, bien qu'interdite sous l'Ancien Régime, permet à de jeunes volontaires de se substituer, contre rémunération, à des jeunes gens ayant tiré un mauvais numéro.
Afin d'échapper à la milice royale, certains se marient à la hâte ou simulent la folie. D'autres quittent leur village ou partent à la scie un peu plus tôt que d'ordinaire.
Au XVIIIème siècle, l'émigration temporaire et saisonnière des habitants des montagnes auvergnates est un phénomène massif. Cette émigration est due au surpeuplement des villages et à la misère qui règne dans les campagnes. Durant la morte-saison agricole, les journaliers et les petits laboureurs quittent leurs paroisses pour aller s'employer dans d'autres provinces. Les paysans des monts du Livradois deviennent alors scieurs de long ou marreurs (terrassiers). Ils partent à la Saint-Michel (29 septembre) et ne reviennent qu'en mai, voire seulement pour la Saint-Jean d'été (24 juin). Cette émigration saisonnière apporte des revenus complémentaires indispensables aux familles mais vide pendant une bonne partie de l'année la paroisse où ne restent que les femmes, les enfants, les vieillards et les invalides.
La vie des migrants est très dure. Ils voyagent à pied et en groupes, emportant leurs outils, s'entassent dans des logements misérables afin de dépenser le moins possible. Ils s'épuisent au travail et les accidents sont fréquents. Il arrive que les migrations temporaires se transforment en migrations définitives.
Le 20 mars 1766, le subdélégué de Lempdes écrit à l'intendant d'Auvergne :
Monseigneur,
Ayant fait dans le plat pays sept bons miliciens, le 19 de ce mois les sindics des communautés de Chassignolles, Laval-sous-Champagnac, Saint-Vert et Peslières m'ont exactement présenté tous les garçons qui se sont trouvés dans ces parroisses. Je n'y ay pu choisir que trois garçons, un de Chassignolles qui soutenoit, sans en justiffier par acte, et qui parraissoit avoir plus de 40 ans, un de Laval qui a une maille à l'oeil gauche et un de Saint-Vert qui n'auroit que cinq pieds chaussé. Et sur (leur) liste j'y ay trouvé dix-huit garçons absens de la province, certains depuis le mois de septembre et les autres depuis Noël, janvier et février. Dans cette circonstance, plustost que d'appeller les hommes de 30 ans et au-dessous, j'ay cru devoir, monseigneur, informer votre grandeur de l'état actuel de ces parroisses et de la suplier, si cela est possible, d'y renvoyer le tirage jusques à la fin de juin, non seulement parce que ces dix-huit garçons qui ont quitté leurs parroisses de bonne foy et sans connaître les ordres de milice seroient tous inquiétés et dans le cas de marcher pour les (paroisses) qui en feroient la capture, mais encore parce qu'aussy la majeure partie des hommes mariez sont de même à la sie hors la province depuis ces tems et qu'ils se trouveroient dans le même cas d'être recherchés par le petit nombre d'hommes qui auroient tirés le sort et qui se trouvent aujourd'huy chez eux.
Je viens encore aujourd'huy de procéder au tirage des parroisses de Ronnayes, Fayet, Saint-Martin-d'Olières et de Chateauneuf-du-Fraisse, je n'ay pu y choisir que 3 garçons que j'ay admis à tirer le sort. Est advenu au nommé Roch Tracquellet, fils du garde de monsieur de La Richardie, qui est propre à servir. Et il s'est trouvé sur les listes de ces quatres parroisses trente garçons atours qui sont de même à la sie, certains depuis le mois de septembre et les autres depuis décembre, janvier et février. Ce qui, monseigneur, m'a engagé à différer les tirages des arrondissements de La Chapelle-sur-Usson et de Val-sous-Chateauneuf jusques à lundy 24 mars pour avoir de nouveaux ordres de votre grandeur, dimanche prochain, soit pour continuer ces opérations ou pour les suspendre jusqu'au tems que ces scieurs de long et marreurs soient retirés dans leur communautés, ou qui, suivant l'usage, doivent l'être, étant assuré qu'il se trouvera dans les communautés où j'ay les miliciens qui me restent à faire un très grand nombre de ces absens et peut-être point de garçons présents. J'ose attendre la décision de votre grandeur par le courrier de demain. S'il n'y a que 2 garçons pour tirer au sort, dois-je appeller les hommes mariés jusqu'à 30 ans pour tirer concuramment avec ces garçons, suposé qu'il n'y aye ny veuf ny jeunes mariés de 20 ans et au-dessous.
Je prend la liberté de me dire avec un profond respect, monseigneur, votre très humble et très obéissans serviteur. Vialard. A Lempde, ce 20 mars 1766.
(Arch. dép. Puy-de-Dôme, 1 C 5260)